Ce matin, j'accompagnais un étranger demandeur de papiers de séjour,
pour obtenir un rendez-vous d'examen de dossier à venir dans quelques
mois? Pas de queue à la porte 1 , mais une policière qui demande les
papiers d'identité de chacun. Mon client montre les photocopies de son
passeport (je lui avais dit qu'un étranger sans papiers ne prend
jamais sur lui l'original du passeport). Réaction de la policière : ce
sont des photocopies, ça n'a aucune valeur ! En réponse, j'affirme à
la policière que c'est au contraire suffisant pour un contrôle
d'identité. Sans rien dire, elle pince ses doigts (signe que je n'ai
qu'à me taire, ce que je fais aussitôt. En tous cas, elle se contente
de la photocopie, puisqu'elle nous fait signe d'entrer dans la salle
ouverte par la porte 1 du bâtiment René Cassin. En entrant, nous
découvrons une énorme queue à l'intérieur, dans laquelle on nous fait
mettre en file indienne. Il y a en fait quatre files indiennes l'une à
côté de l'autre et, par exemple, les accompagnateurs sont devant ou
derrière la personne qu'ils accompagnent, mais pas à côté; se parler
devient quasiment impossible, d'ailleurs la personne que j'accompagne
et moi n'échangerons plus rien dépassant quelques mots... il y a donc
ces quatre files parallèles, à 50cm l'une de l'autre, à peine la place
de passer entre les deux....le tout dans un silence de plomb, personne
ne dit plus un mot, chacun se demandant qui va arriver ou ce qui va se
produire? Et dans ce silence épais, un galonné jetant des éclairs sur
ses épaulettes et ses décorations, ouvre la bouche et profère, d'une
voix de stentor; "Je réclame votre attention ! Le cas de chacun
d'entre vous va être maintenant étudié et tout va dépendre de votre
collaboration (sic) !". il fait un signe et, de derrière un rideau qui
les cachait jusque là, sortent quatre groupes semblables composé de
deux policiers portant ensemble une petite table pouvant passer entre
les files, et d'une policière portant une chaise. les quatre tables
sont installées au début de chaque file, la policière s'assied devant
la table et sort une feuille de papier et un stylo levé attendant de
s'abaisser pour écrire. Le premier étranger est appelé dans chaque
file et commence la même scène dans chaque file et pour chaque
personne l'une après l'autre? La policière demande le nom de la
personne et l'écrit. Puis elle demande à voir la pièce d'identité? A
ce point j'ai vu que certains n'en avaient pas et la policière
appelait un policier plus loin qui s'approchait, prenait la personne
par l'épaule et le faisait sortir de la salle, en fait l'expulsait
comme je le saurai plus tard en les voyant, après notre propre
expulsion ! Question suivante : pour quelle raison êtes-vous ici ?
J'ia entendu quelques réponses, toujours les mêmes : "pour avoir mes
papiers, Madame " " parce que j'ai besoin de travailler pour vivre "
ou "parce que j'ai un récépissé sans autorisation de travailler et
qu'il faut que je gagne ma vie, comment faire ?" La policière écrit
quelques mots et passe au suivant, Au bout de vingt minutes, c'est mon
étranger qui passe à la casserole : même scène pour la photocopie du
passeport, mais mon intervention fait que ça passe cette fois, et à la
question pourquoi êtres-vous ici, il répond : "Madame, j'ai cette fois
tout mon dossier complet, avec les feuilles de paye et les preuves de
ma présence en France chaque trimestre depuis dix ans, je suis venu le
présenter pour qu'on me donne un récépissé puis la carte de résident
!" La policière le coupe : "trop tôt pour le dire, merci, attendez
tranquillement, je termine la file ! et la table s'éloigne avec son
escorte,,, Une heure s'écoule et les quatre tables repartent,
disparaissent derrière le rideau. Le silence est plus épais que
jamais... Le gradé remonte sur son estrade et lance : "Nous allons
étudier soigneusement vos cas puis nous reviendrons vous avertir du
résultat. Je vous demande d'attendre dans le calme le retour de la
commission " Il disparaît. Deux noms murmurés circulent dans la foule
; le RESULTAT et la COMMISSION... Effectivement je ne les ai jamais
entendus ici et n'ai aucune idée de ce dont il s'agit mais je ne vais
tarder à le savoir. Effectivement un quart d'heure plus tard, la
troupe des 8 flics et 4 fliquettes des tables s'avance et une des
fliquettes prend la parole dans un silence de mort : "La commission a
statué (c'étaient eux la commission...) Je vais appeler les gens par
leur nom et, montrant un espace vide de la main, ajoute : " à l'appel
de votre nom, vous viendrez ici !" sur un ton qui n'admet pas de
réplique";
La litanie commence et l'un après l'autre, les gens s'approchent et
commencent à s'entasser, avec un air plutôt satisfait, pensant que
c'est bon signe d'être sélectionné et des sourires apparaissent sur
les visages. Mon étranger est appelé lui aussi et je vais avec lui
vers le groupe. Une chose cependant m'alerte, c'est que l'un après
l'autre de ceux qui sont appelés ont des airs accablés et le dos
courbé; malgré les sourires. L'appel prend fin et le gradé remonte sur
son perchoir et s'adresse à notre groupe muet : " Bien Messieurs, vous
êtes le groupe des REFUSES AU TRI. Nous allons vous raccompagner à la
sortie parce qu'il n'y aura pas de rendez-vous pour vous aujourd'hui !
Il faudra revenir un autre jour ! Allez maintenant ! " J'ai traduit
aussitôt ; foutez le camp ! La troupe des flics s'arrondit autour de
notre groupe atterré où éclatent quelques sanglots et quelques cris de
douleur étouffés. Mon étranger est devenu blanc comme un linge et, le
temps que les flics nous fassent sortir de la salle, je vois les
larmes couler sur ses joues. Il s'approche de moi et me dit , "Ca veut
dire quoi d'être REFUSE AU TRI ? On a fait quelque chose qu'il ne
fallait pas ? "On est sortis de la salle, il s'éloigne en pleurant
sans me dire au revoir et va prendre son métro... J'ai fait demi-tour,
ai été refoulé de la salle où nous étions, suis allé à une autre porte
où j'ai pu rencontrer une employée de la préfecture que je connaissais
et qui m'a expliqué que, depuis lundi, le même scénario se répétait
chaque jour et qu'eux, les employés de la préfecture, n'avaient plus
rien à faire le matin parce qu'il n'y avait plus de distribution
d'enveloppes pour les rendez-vous. Et en partant, elle m'a dit qu'il
fallait qu'elle y aille, parce que maintenant que les REFUSES AU TRI
étaient partis, il fallait faire le travail et donner les enveloppes
et les imprimés à ceux qui étaient acceptés...
Voilà l'expérimentation en cours à la Préfecture de Seine Saint-Denis.
Libre à vous maintenant d'en tirer les conséquences et les conclusions
qui s'imposent !
M.V.
(suite- 5 mars)
Jean-Claude est retourné vendredi à Bobigny pour voir comment cela se passait. La mise en scène policière avait disparu. Renseignements pris, jeudi matin, même comédie que mercredi, sauf que les "refusés au tri" se sont assis et ont refusé de sortir: 12 flics et leur colonel face à 200 à 300 personnes qui refusent de bouger. Résultat: les flics sont partis et tout le monde a été reçu aux guichets, les guichetiers tenant à faire leur travail pour montrer que les flics ne sont pas leurs chefs.
Une résistance à la tunisienne, en quelque sorte!
Vendredi 4 mars en fin de matinée, tout est redevenu comme avant. A la porte n° 1 du service des étrangers des employés de la préfecture distribuent des tickets, à la tête du client comme d'habitude – ce sont les instructions. Pas tout à fait comme avant, cependant: pas trace du moindre policier. Et, surtout, les pauvres et les méprisés se sont levés contre l'arbitraire et ils ont obtenu gain de cause... jusqu'à la prochaine offensive.