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Qui Sommes-Nous?

  • : Le blog de Fontenay pour la Diversité
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2 avril 2009 4 02 /04 /avril /2009 21:19

Depuis presque deux ans, les bénévoles de Terre d’errance sont présents au côté des réfugiés sans asile du camp de Norrent-Fontes pour leur apporter une aide de première nécessité mais aussi leur consacrer un peu de temps, leur parler, les rencontrer.

Le 18 février dernier, la Police aux Frontières a arrêté Monique, une bénévole de l’association chez elle et l’a mise en garde à vue pour « aide au séjour irrégulier en bande organisée ».
Treize migrants ont également été arrêtés le même jour sur le camp. Quatre d’entre eux sont toujours emprisonnés.

Depuis, il semblerait que l’État soit engagé dans une stratégie de découragement qui passe par l’intimidation des bénévoles et une répression policière accrue à l’égard des migrants (surveillance de la gare de Lillers, interventions sur le parking et le camp, utilisation des matraques et des gaz lacrymogènes, communiqué de presse hostile…).

Or le souhait de l’association est de contribuer à un débat serein sur la question des migrants et de faire partager à tous l’expérience qu’elle a acquise à leur côté depuis près de deux ans afin que soit enfin engagée une réflexion de fond sur la question des migrants et que puissent émerger des solutions justes qui respectent les libertés et la dignité de tous. C’est l’objet de cette lettre ouverte.

Petit à petit, au fil de leur engagement, les bénévoles sont devenus les récepteurs de centaines d’histoires de vie qui leur ont permis de répondre à ces questions incontournables que l’État n’aborde pas : d’où viennent ces hommes et ces femmes ? Qui sont-ils ? Pourquoi ont-ils dû quitter leur pays ?
Comment sont-ils arrivés en Europe, puis dans les fossés de Norrent-Fontes ? Pourquoi et comment vont-ils en Angleterre ?

À Norrent-Fontes, tous les réfugiés sont Érythréens. Aucun n’est expulsable car ils seraient automatiquement enfermés et torturés, voire tués. Tous reçoivent un statut de réfugiés ou une protection humanitaire où qu’ils fassent leur demande d’asile. Mais la plupart n’ont pas le droit de la demander en France, ils sont prisonniers du règlement Dublin 2, mis en place en 2003, qui les oblige à rester dans le premier pays européen qu’ils ont foulé, à savoir l’Italie.

En Italie, tous passent par des camps d’identification et d’expulsion où ils sont fichés par prise d’empreintes digitales. À la suite de quoi, ils reçoivent des papiers d’un an, parfois deux ou trois, avant d’être laissés livrés à eux-mêmes dans un pays inconnu à la première gare près du camp.
Après avoir tant cru en l’Europe et laissé derrière eux tant de compagnons d’infortune qui ne la verront jamais, ils découvrent ce que veut dire être réfugié en Italie : pas de logement mais des squats sans eau ni lumière, pas de cours d’italien, pas d’aide financière mais la seule charité pour manger et changer de vêtements. Puis la xénophobie, les attaques racistes, le refus des carabinieri (policiers) de reconnaître la valeur des papiers présentés, les difficultés et les délais de renouvellement de ces protections au rabais. Et surtout, pas d’emploi.

De fait, ils ne peuvent qu’écouter ceux qui ont atteint l’Angleterre, la Suisse ou la Norvège. Ils reprennent la route. Simplement. Parce qu’être réfugié en Italie est insupportable. Ils n’ont besoin d’aucune aide pour se déplacer. Seulement du bouche à oreille. Ils arrivent chez nous et se cachent dans les camions pour passer en Angleterre. Là-bas si par chance on ne trouve pas leurs empreintes dans le fichier Eurodac sur les étrangers et les demandeurs d’asile, ils obtiennent le statut de réfugié pour cinq ans. Sinon, ils sont rejetés et renvoyés en Italie.
Tous disent qu’ils se doivent d’essayer une fois le passage en Angleterre pour savoir si l’Italie a mis leurs empreintes dans le fichier. Car rien n’est automatique. Aucun gouvernement ne respecte les règles. Il est donc toujours possible que ça marche.

Si on les expulse d’Angleterre vers l’Italie, ils ont au moins appris, pour l’avoir vu, qu’il est possible de ne pas dormir dehors ou dans les squats et qu’il est possible de travailler.
Alors dès leur expulsion à l’aéroport de Rome, ils font demi-tour et se remettent en route. Ils reviennent en sachant cette fois qu’ils seront condamnés à rester clandestins en Angleterre mais qu’ils pourront au moins économiser et envoyer un peu d’argent à la famille restée au pays. Car tous ces jeunes qui ont entre 17 et 30 ans, savent, en quittant le pays, qu’ils ont à assumer un double sacrifice : celui de vivre un exil long et périlleux et d’être, une fois parvenus à destination, la seule ressource des vieux et des enfants restés au pays.

Contraints de gagner la vie comme travailleurs clandestins en Angleterre, ou comme fermeurs de portes en France, ils envoient l’argent en Érythrée. Ils ne font donc pas cela pour s’acheter une vie de pacha dans la jungle ou pour engraisser une filière qui piloterait ça de loin mais pour aider leurs familles prisonnières de pays pauvres et tyranniques.
Travailleurs clandestins en Angleterre, ils vivent de salaires au rabais, sans accès à la santé, sans possibilité de se marier donc sans foyer, sans espoir d’ascension, sans futur. Alors régulièrement ils se risquent à nouveau à demander un statut, sortent de la clandestinité et sollicitent de nouveau l’asile auprès du gouvernement anglais. Le plus souvent, on retrouve leurs traces et on les réexpulse.

Certains errent ainsi pendant des années, au coeur de l’Europe, prisonniers de la misère et du règlement Dublin 2 qui pour eux est synonyme d’impasse, de séjours en centre de rétention — ces prisons pour innocents étrangers —, de séjours dans les squats italiens et de séjours dans les jungles du Pas-de-Calais.
Car dans la région non plus aucune chance n’est laissée à ceux qui ont déjà été fichés ailleurs.
La seule voie possible c’est un retour direct à la jungle, aux zones d’attente, de transit, de rétention, le goulot d’étranglement du Pas-de-Calais. Certains en sont à leur cinquième année d’errance, avec combien de tentatives de demande en France ou ailleurs ?

Survivre en tant que femme, homme, adolescent ou famille dans des zones de non-droit, dans une vie clandestine, sans devenir esclave de gens peu scrupuleux, implique nécessairement des formes d’organisation. Toutes ne sont pas mafieuses et prétendre le contraire c’est se débarrasser à bon compte de la complexité des problèmes.

Il y a un an, les réfugiés sans asile de Norrent-Fontes se sont dressés contre ceux qui les exploitent.
Ils ont pris conscience, aidés en cela par l’association, que leur qualité de migrants ne leur pas ôte tous les droits et qu’ils pouvaient porter plainte auprès de la police française contre ceux qui contrôlaient alors le lieu de passage et les exploitaient. À cette occasion, des bénévoles de Terre d’errance ont surpris la visite d’une voiture immatriculée en Belgique, conduite par des ressortissants soudanais et kurdes qui pourraient être liés à un réseau mafieux important.
L’association a proposé son témoignage à la justice qui jusqu’à aujourd’hui ne lui a pas répondu. Quelques mois plus tard, une expédition punitive a été menée sur le camp par ces mêmes mafieux qui ont assassiné le jeune Mansour. Là aussi l’association a proposé son aide aux autorités judiciaires pour faire avancer l’enquête. Aucune réponse.
Encore quelques mois plus tard, la police aux frontières plaçait Monique en garde à vue, dans le cadre d’une commission rogatoire diligentée par le parquet de Béthune.

L’association ne comprend pas cette logique qui néglige la piste des criminels pour s’attaquer à des innocents. Elle continue d’espérer des éclaircissements de la part de la justice. Livrés à eux-mêmes après le départ des passeurs, les réfugiés n’ont pas eu d’autres choix que de s’organiser pour répondre à ceux d’entre eux qui ont encore une chance en Angleterre. Ils ont repris possession de leur parcours et se sont demandés qui voulait bien fermer la porte derrière eux.
Alors être passeur ce n’est, ni plus ni moins, qu’ouvrir et fermer des portes de camion pour des gens qui ont besoin d’aller en Angleterre pour demander l’asile. Le mot passeur est un mot couperet dans lequel l’État fait disparaître la complexité de la situation, le marasme juridique et le destin personnel de ces hommes.

On ne gagne rien à enfermer l’humain dans une terminologie qui le déshumanise. Quand on prend le temps de les rencontrer, humainement, on s’aperçoit que cette période d’activité où ils se sentent utiles leur redonne une valeur, une raison d’exister, à eux qui ne se voient aucun futur.
Alors sachant cela, comment juger ?
Sachant cela, comment gérer ?
De cette jungle, de ces histoires et de ces gens. À présent qu’est-ce qu’on fait ?

On peut fermer les yeux. Toujours. S’en laver les mains. Mais on peut aussi essayer d’y faire face, coller au terrain pour être le dernier rempart contre les dérives humaines, s’assurer que tout se passe pour le mieux, qu’il n’y ait ni violence, ni vol, ni abus, pour sauvegarder la dignité de chacun, pour la protection des plus faibles.

Et l’État quant à lui peut renoncer à la répression, accepter qu’il subsiste bel et bien un énorme problème, que la fermeture de Sangatte n’a rien réglé, qu’elle a même aggravé les choses, que la criminalité se nourrit des conditions indignes dans lesquelles les réfugiés sans asile sont maintenus.
Comprendra-t-il qu’accueillir ces hommes et ces femmes, les abriter, le temps qu’ils obtiennent l’asile dans un pays où ils auront une réelle chance de s’intégrer, ce serait non seulement plus humain mais aussi plus efficace pour lutter contre la criminalité et prévenir les accidents ? Et que si ces gens arrivent ici, ce n’est pas du fait des passeurs qui ne sont que le symptôme, mais du fait des déséquilibres insupportables de notre monde et de la démission des pays riches face à cette injustice ?

Tout pourrait rester en l’état. Les âmes charitables et les humanistes continueraient de jouer le rôle du petit pansement jeté sur une hémorragie, les réfugiés de déambuler sur nos routes, dans nos champs, dans nos villes et les différents services de police d’orchestrer la valse des résultats chiffrés et des gardes à vue inutiles, tout en martelant que si les réfugiés sont là, c’est à cause des passeurs, sans se poser la question de savoir quels hommes et quelles histoires se cachent derrière ces mots.
Nous voulons que l’émoi suscité par l’arrestation de Monique Pouille et relayé par la sortie du film "Welcome" soit l’occasion d’enfin ouvrir une réflexion de fond sur la question des réfugiés sans asile abandonnés dans la région et dans toute l’Europe depuis des années.
Abandonner les exilés aux seuls habitants et à la loi des fossés n’est pas une politique, c’est une lâcheté qui ne respecte ni l’Étranger,ni le Citoyen. Le drame de l’après-Sangatte a trop duré.

Aujourd’hui il est temps d’affronter les racines du problème et de réfléchir. _ Comment en est-on arrivé là ? Combien de jeunes désoeuvrés rempliront nos prisons pour avoir permis à leurs frères d’avancer ? Pour n’avoir pas eu d’autres alternatives ? Comment la population des environs se trouve-t-elle abandonnée comme eux dans des jungles que l’État et l’Europe ne veulent pas voir ? Une poignée de citoyens comme seuls garants de la dignité humaine dans des zones de non-droit. Nous en sommes vraiment là ?
Tout pourrait rester en l’état. Combien de temps ?
Tout pourrait changer si on s’écoutait. Tous.
Ça ne tient qu’à nous, qu’à vous. Au courage commun de défendre notre devise. Il y a des moments où l’histoire s’écrit en posant cartes sur table pour pouvoir construire un après.

Nous demandons à l’État d’entendre enfin la voix de ceux qui font face là où tout le monde fuit et de considérer plus justement ces hommes et ces femmes qu’il néglige ou qu’il jette en prison alors qu’ils fuient la misère et la tyrannie. Nous refusons les fausses solutions policières, la criminalisation des migrants et leur enfermement.
Le projet actuellement négocié entre la France et le Royaume Uni qui envisage la construction à Calais d’un camp de détention ( !) pour les migrants, géré par les autorités britanniques, est terrifiant. Nous y voyons une dérive sinistre à laquelle nous nous opposerons résolument.

Pour autant, nous continuons d’espérer que la France et les États européens entendront notre appel en faveur d’une politique de l’immigration digne des valeurs qui ont fondé nos républiques.
Nous sommes prêts à rencontrer les autorités pour en débattre.

Entre-temps, nous invitons tous les citoyens européens à signer le Manifeste pour la défense des migrants et de ceux qui les aident sur le site de l’association :

http://terreerrance.wordpress.com/

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