Libération: vendredi 18 avril 2008
A Paris, Bruno Druilhe soutient la régularisation des employés… qui occupent son restaurant.
Avec le recul, ça le fait rigoler. « Trois personnes sont entrées dans le restaurant, peu avant 10 heures, mardi. Elles ont commandé des cafés. Je leur ai dit : "Installez-vous. Vous êtes chez vous." Ils m’ont répondu : "C’est sympa. Nous avons une grève qui va commencer" », raconte Bruno Druilhe, le patron des restaurants Chez Papa (trois établissements à Paris). Quelques minutes plus tard, les syndicalistes sont rejoints par les sans-papiers qui travaillent dans ses établissements et leur comité de soutien.
Depuis, ce patron bon vivant, au fort accent aveyronnais, est excédé. Moins par la vingtaine de sans-papiers qui occupent son restaurant du Xe arrondissement que par la situation administrative qui les a amenés là.
Ils viennent du Mali, de Mauritanie, du Sénégal, de Côte-d’Ivoire ou de Tunisie. Certains travaillent dans ces bistrots spécialisés dans la cuisine du Sud-Ouest depuis neuf ans. L’employeur assure qu’il n’a rien à se reprocher. « Lorsque je les ai embauchés, ils m’ont tous donné des photocopies de pièces d’identité. Les numéros ont été acceptés par l’Urssaf. » Des cartes d’identité faciles à se procurer glisse un sans-papiers : « Entre 150 et 200 euros. »
Bruno Druilhe a découvert le pot aux roses en juillet. Comme l’y obligeait un décret du 1er juillet 2007, il a dû vérifier l’authenticité des papiers de ses salariés. « La préfecture m’a répondu qu’ils étaient faux. » Ce qui, selon le patron, ne les a pas empêchés de payer des impôts, un loyer, des assurances… D’ailleurs, c’est l’ANPE ou des cabinets de recrutements qui lui ont recommandé ces employés.
Il tend une offre d’emploi : « Je propose 1426,36 euros brut, en CDI pour 35 heures. » Sur une soixantaine de réponses, « 52 ou 53 venaient d’Afrique. » Voilà le nœud du problème pour le patron : « On manque de main-d’œuvre. » Personne ne veut faire ce travail difficile pour un tel salaire. Les cuisiniers diplômés demandent le double. Bruno Druilhe martèle qu’il a toujours respecté la convention collective. « J’attendais que leurs démarches de régularisation aboutissent. Ils avaient le droit de travailler avec leurs documents provisoires. » Hors de question pour lui de licencier ses employés (seize rien qu’à Paris), ils lui sont trop précieux. « Pour réussir un bon axoa [plat basque à base de veau, de d’oignons et de poivrons, ndlr], il faut une certaine sensibilité. Ça m’a pris beaucoup de temps pour les encadrer et les former. »
Issaga, l’un des grévistes, confie que c’est justement pour ce savoir-faire qu’il travaille Chez Papa. Il est venu en France pour « acquérir des notions en cuisine française. Les bons cuisiniers sénégalais ont tous fait ça ». Du coup, Bruno Druilhe s’est rangé du côté de ses salariés : « Ce n’est pas pour dégager mon restaurant. Je veux qu’ils soient régularisés parce que je trouve ça stupide de ne pas donner de papiers à des gens qui ont un emploi, un contrat, et travaillent là depuis des années. » Son syndicat (le Synhorcat) s’occuperait de l’affaire avec la préfecture.
En attendant, les patrons de la restauration se font discrets, « de peur qu’il ne leur arrive la même chose », estime le patron de Chez Papa. Mais d’autres dirigeants d’établissements l’ont tout de même appelé. Bruno Druilhe assure : « J’ai reçu une cinquantaine de coups de fils de soutien. »
GAËL COGNÉ
Source : Libération
vendredi 18 avril 2008.