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  • : Le blog de Fontenay pour la Diversité
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3 juin 2015 3 03 /06 /juin /2015 14:11

A Pouilly-en-Auxois, une ancienne caserne de gendarmerie vient d'être transformée en centre d'accueil temporaire pour migrants afin de désengorger Calais. Une cohabitation inédite pour les habitants, et diversement vécue.

Chemise écrue et cheveux lustrés, Samani Omar Salam attrape son cabas à roulettes, claque la porte du foyer Adoma et descend au village. « On est bien ici », lance le jeune Soudanais en contemplant les champs de boutons d’or. Sur la place de Pouilly-en-Auxois (Côte d’Or), 1 600 habitants, quelques commerces, une école et un clocher, il salue son ami Abdallah Mohammed, un Erythréen de 38 ans, à bicyclette. En ce doux matin de mai, on croirait les deux hommes établis dans le bourg depuis des générations. Ils ne sont pourtant que de passage, arrivés il y a quatre mois à peine, en bus depuis Calais, où ils vivotaient sous les bâches des camps de fortune, avec 2 500 autres migrants. « Là-bas j’avais froid, j’avais faim, j’avais peur, j’étais sale », raconte Samani, encore hébété à l’évocation de la « jungle ».

Le bidonville de Calais, “Sangatte sans toit”

A Pouilly-en-Auxois, le jeune homme de 23 ans a pu dormir dans un lit pour la première fois depuis son départ du Soudan, en août 2014. Avec quarante-quatre autres demandeurs d’asile – des hommes pour la plupart originaires du Soudan, d’Erythrée et du Tchad – il loge désormais dans les anciens locaux de la gendarmerie, en bordure du village, reconvertis en centre d’accueil temporaire pour migrants (AT-SA, voir encadré).

Géré par la société Adoma, ce foyer ouvert en janvier – qui peut accueillir jusqu’à soixante migrants – a été conçu par le ministère de l’intérieur pour désengorger Calais. Si ce centre est celui qui a ouvert le plus rapidement, d’autres devraient suivre : le ministère de l’intérieur indique avoir la possibilité budgétaire de créer jusqu’à 500 places similaires pour désengorger Calais, dont « plus de 200 ont été ouvertes depuis le début de l’année, et près de 300 sont actuellement en cours d’expertise et pourraient ouvrir d’ici l’été ». « Tout cela fait l’objet de discussions au plan local, une dizaine de départements sont concernés », précise la place Beauvau, qui ne s’avance pas sur leur localisation.

  • Avant d'arriver au centre Adoma de Pouilly-en-Auxois, Samani Omar Salam, 23 ans, a vécu une longue odyssée : la prison au Soudan, la violence des passeurs libyens, la traversée de la Méditerranée sur un esquif surchargé à la dérive, l'attente en Italie, la jungle calaisienne. Pouilly lui offre un répit. Mais il sait que son chemin n'est pas fini.

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« Ici, on n’avait jamais vu ça ! »

Dans son bureau aménagé au rez-de-chaussée, la directrice du centre Adoma se souvient de l’arrivée des premiers migrants, en février. Epuisés, démunis. « Ici, ils ont pu retrouver une humanité, se ressourcer, lâcher prise. En deux mois, ils avaient déjà retrouvé un équilibre physique et mental », raconte Corinne Fournier. Avec trois travailleurs sociaux, elle accompagne désormais les résidents dans leurs démarches sociales et administratives (alphabétisation, suivi des procédures de demande d’asile et de recours, ouverture des droits). Elle leur offre aussi son écoute, à toute heure.

Dans le huis clos d’une demande d’asile

Des migrants à Pouilly-en-Auxois ? Le maire du village Bernard Milloir (sans étiquette) n’y a d’abord pas cru. La « décision d’Etat » lui a été annoncée le 29 décembre, un lundi ; il s’en souvient encore. « Comment allait réagir la population ? Ici, on n’avait jamais vu ça ! On n’avait jamais été confrontés à la demande d’asile. » Passées la surprise et l’inquiétude, une fois les conditions de l’accueil connues, l’élu prend le parti du « regard humaniste » : « après tout, il fallait être cohérent avec l’esprit du 11 janvier ». Il demande toutefois à ne pas accueillir de familles, les structures scolaires étant déjà pleines. Sur les murs de son bureau, le « chef du village » – le surnom que lui ont donné les migrants – a aujourd’hui affiché une photo d’eux.

Les premiers mois de cohabitation n’ont pourtant pas été faciles. A la mairie, les lettres d’insultes et de menaces des habitants hostiles aux migrants se sont amassées, au point que l’un de ces messages a fait l’objet d’une plainte. Il faut dire que la nouvelle est tombée « en plein pendant Charlie ». Quelques mois avant, les images des heurts entre policiers et migrants à Calais passaient en boucle à la télé : « ça n’a pas aidé à calmer les peurs et à véhiculer une information sereine », soupire le maire. « Mais c’est fini maintenant. Aujourd’hui, ça se passe très bien : tout le monde a pu voir que les migrants sont des habitants comme les autres. »

« On a posé des jalons, il faut désormais que le dialogue se poursuive », estime pour sa part la directrice du centre Adoma, qui joue elle aussi un rôle essentiel dans la médiation avec les habitants. Une soirée de rencontre a été organisée fin avril : les migrants ont préparé des plats de leurs pays et des affiches pédagogiques sur ce qu’est la demande d’asile ; les habitants, venus nombreux, ont apporté vêtements, objets et vélos. La veille, un autre rendez-vous, sur le terrain cette fois, avait réuni migrants et footballeurs locaux le temps d’un entraînement.

11 000 demandeurs d’asile chez Adoma

Société spécialisée dans l’insertion par le logement, Adoma (ex-Sonacotra) est le premier opérateur national pour l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile. En tout, 140 dispositifs d’accueil de demandeurs d’asile sont implantés en France : des centres d’accueil (54 Cada), des accueils d’urgence (42 Auda) et un dispositif national d’hébergement d’urgence composé de centres d’accueil temporaire service de l’asile (31 AT-SA), comme celui de Pouilly-en-Auxois, pour lequel Adoma a signé un bail préalable de douze mois. Plus de 11 000 demandeurs d’asile étaient accueillis dans ces structures en 2014, selon les chiffres de l’opérateur.

  • Abdallah Mohammed a fui l’Erythrée où il a été emprisonné et torturé pour avoir refusé de faire son service militaire et où il demeure menacé de mort. Il s’inquiète beaucoup pour sa famille, dont il n’a aucune nouvelle.

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Il y a aussi toutes ces petites mains, telles Marie et Georges, un couple de retraités, qui se sont proposées au centre social de la commune pour donner des cours de français, deux fois par semaine. Penchés au dessus d’un livre et d’un cahier d’écriture, entre concentration et rires, Marie et Samani n’ont pas besoin de parler la même langue pour se comprendre. Marie sait bien qu’il ne « faut pas trop s’attacher », il n’empêche que son élève la « souffle » : « c’est le plus assidu de tous ». L’air grave, Samani explique vouloir apprendre le français « le plus vite possible : c’est le seul moyen pour s’en sortir ». Au Soudan, il n’a pas pu terminer sa scolarité : il a été arraché à son lycée puis emprisonné pour avoir participé à des manifestations appelant à la chute du gouvernement d’Omar Al-Bachir. C’est lors d’un transfert vers une autre prison qu’il est parvenu à s’enfuir.

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Published by Fontenay - Diversité